Article ARTisSpectrum – Impact de l’orpaillage sur les populations Amérindiennes en Guyane française.
Il se produit parfois des événements qui me touchent si profondément qu’ils m’incitent à suspendre le cours de mes activités pour repenser l’ordre des priorités.
Le deuil d’un proche peut bouleverser mes repères habituels, une catastrophe impliquant des populations entières susciter ma compassion au point de me mobiliser.
Il suffit de suivre l’actualité, ne serait-ce qu’une journée pour constater le grand nombre de sujets en matière d’injustice.
Il se passe aussi de part le monde des drames presque silencieux dont nous n’entendons pas parler, à moins d’y être confronté.
Enfant, je rêvais de voyages, d’aventures immenses, de nature sauvage et de peuples pacifiques perpétuant un mode de vie suffisant à leur pérennité.
Installée en Guyane depuis 1991, j’ai obtenu quelques années plus tard l’autorisation Préfectorale de me rendre à Twenké et Taluhwen, deux villages traditionnels Wayana,
afin de participer avec eux à un projet artistique élaboré dans le cadre d’une action volontaire.
Situé au cœur de l’Amazonie française, leur territoire a été déclaré officiellement ‘Zone Interdite’ depuis 1970 afin de préserver, entre autre, ‘ la santé des populations et le respect de leurs coutumes ‘.
Avez-vous déjà éprouvé un sentiment de plénitude en arrivant dans un lieu inconnu où tout ce qui s’en dégage vous paraît harmonieux et joyeux ? Vous observez la beauté des hommes et des femmes accomplir leurs gestes quotidiens avec grâce dans des paysages préservés pendant que les enfants jouent dans la rivière ou glissent lentement dans de minuscules pirogues. Vous restez là, admiratif, et vous remerciez la chance d’avoir guidé vos pas jusqu’à ce paradis du bout du monde.
Voilà, c’est le premier souvenir de ma rencontre avec les Amérindiens Wayana.
Ils vivent sur les rives du Litani, en amont du fleuve Maroni qui marque la frontière avec le Surinam. Leur population est estimée à environ 1000 habitants en Guyane. Leur mode de vie est communautaire, leur économie basée en grande partie sur l’auto subsistance, tel la cueillette, la chasse, la pêche et l’agriculture.
Leurs savoirs-faire souvent complexes ainsi qu’une grande maîtrise des techniques transmises depuis l’enfance permettent aux Wayanas d’exprimer leurs talents de graphistes à travers l’Art de la céramique, de la vannerie, du textile et du bois ( http://amazonian-museum-network.org/sites/default/files/fichiers/lart_des_wayana.pdf ).
Les motifs et les symboles s’inspirent des animaux de la forêt et des créatures mythiques. Un des objets les plus représentatif de leur Art est le ciel de case ou Maluwana. C’est un disque taillé dans les contreforts d’un Fromager puis noirci au feu et décoré de dessins issus d’un bestiaire des temps anciens, chenille à deux têtes, monstres aquatiques, serpents, tortues. Les couleurs nécessaires à leur création proviennent de pigments naturels ou de peintures acryliques. Il est ensuite fixé sous le dôme du Tukusipan, l’abri circulaire qui accueille les visiteurs de passage et lieu de vie collective pour tous ceux qui s’y rassemblent.
Le ciel de case rappelle l’histoire de la communauté, la nécessité d’en tirer des enseignements et de défendre la fraternité. Il évoque aussi les liens entre les Hommes et la Nature. Et pourtant . . .
Depuis bientôt vingt ans, la réalité des Wayanas s’est transformée en cauchemar. Comme les autres Amérindiens vivants à l’intérieur de la Guyane, il sont victimes de l’orpaillage illégal et de l’envahissement de clandestins attirés par la recherche effrénée de l’or, très destructrice pour l’environnement. D’après les associations de défense, plus de 10.000 garimpéros se sont installés à proximité des villages, provoquant d’innombrables perturbations dans l’équilibre des écosystèmes. Les fortes concentrations de mercure extrêmement toxiques utilisées pour agréger l’or sont rejetées dans les cours d’eau et se fixent dans les végétaux aquatiques qui sont consommés par les poissons. C’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui est contaminée.
Il se développe chez les enfants des altérations neurologiques, des défauts de coordination des membres, des troubles du développement psychomoteur, de l’apprentissage et de l’acuité visuelle. Les taux de mercure prélevés dans leur cheveux dépassent largement les normes admises par l’OMS. Aujourd’hui, les relations avec ces signes neurologiques sont confirmés par la communauté scientifique.
Les orpailleurs laissent derrière eux des friches putrides que l’érosion rapide rend stériles, ils chassent et pêchent dans les zones d’usage réservées, privant les Wayanas de leurs moyens de subsistance. Leur présence crée une atmosphère d’insécurité avec des vols et des agressions armées.
Engagée avec les membres de l’association ‘ Le Pou d’Agouti ‘ à Saint Laurent du Maroni, nous avons dénoncé dès 1997 les désastres humanitaires et écologiques impactant les Amérindiens, multipliant les courriers et les concertations afin de susciter la prise de conscience des pouvoirs publics. Mais les actions de l’Etat sont apparues tardivement et n’ont pas eu de résultats mesurables.
En 2003, j’ai subi également l’envahissement progressif de mon lieu de vie par les orpailleurs, arrivés par centaines sur le fleuve Mana où je possédais un jardin botanique. Mon projet consistait à mettre en place des missions d’identifications des variétés endémiques ou introduites sur le site, de créer des collections végétales ainsi que de proposer un accueil en milieu naturel forestier propice à la création d’ateliers d’Art en lien avec la connaissance et la protection de l’environnement.
Malgré diverses tentatives pour protéger la réalisation de ces entreprises, l’insécurité croissante a eu raison de ma détermination. Le jardin est devenu un terrain vague sur lequel s’entassent poubelles, bidons de carburant et pièces de moteurs usagées. Il est actuellement une des plaques tournantes du transport des hommes et du matériel vers les sites d’orpaillages en amont du fleuve.
Même si j’ai été contrainte d’abandonner un lieu autrefois splendide, j’ai eu la chance de pouvoir me réfugier dans des zones sécurisées, puis de reconstruire petit à petit un autre présent.
Les Wayanas, eux, continuent la lutte pour leur survie dans des forêts dévastées. Le taux de suicides est presque vingt fois supérieur à celui de la Métropole. Leur représentants accusent depuis peu les administrations de désengagement, réclament leurs droits à la santé et appellent à l’aide. Leurs revendications sont accessible sur www.Change.org/AmerindiensFrance
Ce qui se joue n’est pas seulement le maintien à tout prix d’un mode de vie mais l’existence d’un peuple.
Les semaines passées auprès de ces hommes et de ces femmes d’une grande délicatesse ont laissé une empreinte indélébile dans ma mémoire. Elle a induit des changements de comportement essentiels dans mon rapport au monde et mon parcours artistique. J’ai pleuré devant la destruction, le pillage et la pollution de forêts intactes. J’ai absorbé la solitude et les perceptions infimes qui s’opèrent au fil du temps. C’est la puissance de ces émotions que je tente d’exprimer dans mes tableaux.
Sylvie Michault – Mars 2016
ARTisSpectrum n°35 – Mai 2016 – Article de Sylvie Michault – page 61